FLOX, cherche et apporte !

FLOX, cherche et apporte !

Le Berger Picard est il un berger ? (J. Legrand)

 

   "Certains esprits vont encore me taxer de provocateur impénitent, mais on peut légitimement se poser cette question. En effet, tous les historiens cynophiles qui se sont penchés sur les origines de notre Berger Picard sont unanimes : le berger de Picardie tel qu’il fut reconnu et décrit à la fin du 19ème siècle n’a rien à voir avec le chien que nous connaissons aujourd’hui. Ce berger picard, première version, est plus petit (55 cm), a un poil plus court, des oreilles qui ne sont pas dressées (tombantes ou semi-tombantes) et surtout une couleur très précise = noir et feu avec des panachures blanches limitées. C'est-à-dire un Beauceron en taille réduite, avec du blanc au poitrail, une liste sur le chanfrein et des marques blanches d’étendue variable à l’épaule. Cette description ressemble beaucoup à celle du petit bouvier Suisse.

 

   Que les cynologues de l’époque refusent de reconnaître ce chien comme une race spécifique est compréhensible. Ils viennent de diviser les bergers de plaine en 2 groupes, selon la longueur du pelage, arbitrairement baptisés Briards et Beaucerons. Ce Picard est trop proche du Beauceron pour qu’on lui fasse une place à part et toutes les tentatives dans ce sens échoueront. Ce chien était effectivement un berger, le cheptel ovin et caprin du Nord de la France étant très important et la taille du chien bien en rapport avec cette fonction. N’oublions pas que le Beauceron a pris de la taille dans la seconde moitié du 20ème siècle.

 

   Entre les 2 guerres mondiales on parle à nouveau du Berger Picard première version, que l’on baptise alors Berger Bleu de Picardie, mais on commence à décrire un autre chien, plus grand, plus poilu, à oreilles droites et à robe marquée en 2 groupes : les clairs (sable à fauve clair) et les foncés (fortement bringés de marron, charbonnure marquée). Cette ethnie canine n’est pas un microphénomène ; elle se divisera en plusieurs races : Berger Picard, Bouvier des Flandres, Bouvier des Ardennes et d’autres populations qui s’étendent sur une bande Nord-est jusqu’au Luxembourg. Dans les années 70, j’ai parcouru les fermes du Sud Meusien et j’ai pu observer une population de chiens à vaches (donc des bouviers) au poil de chèvre gris plus ou moins foncé, masque et bas des pattes plus clairs, mesurant 60 cm au garrot, ce type de chien existait dans les fermes au début du 20ème siècle. Le remembrement ayant quasiment supprimé les déplacements quotidiens des vaches laitières, la population de chiens de troupeau a disparu en 30 ans.

 

   Notre Berger Picard actuel est « de Picardie » dans la mesure où M. Cotté qui a reconstitué la race a choisi ses sujets d’origine dans la région picarde ; en prospectant dans les fermes, après la 2ème guerre mondiale, quand la population ovine chutait (disparition du Berger Bleu de Picardie) et celle des bovins augmentait (chiens bouviers). Ce n’est pas suffisant pour affirmer que nous avons des bouviers picards ; mais d’autres éléments anecdotiques font penser qu’il n’était pas forcément un berger. En effet, sur la zone frontalière franco-belge, la contrebande de tabac et d’allumettes a fait vivre beaucoup de monde et amélioré le revenu de beaucoup de fermiers. Cette contrebande concerne des produits de faible densité, mais chers à l’unité. Deux ou trois kilos de tabac représentent une grosse mise de fond et ne justifient pas, pour son transport, l’usage de la puissance d’un cheval, comme le faisaient les contrebandiers catalans ou basques pour les produits manufacturés.

 

   Il y a une tradition du chien de transport (trait ou portage) sur le Nord et la Belgique. Il est donc normal de faire appel aux chiens pour la contrebande. Gros Mâtins conduits par les hommes pour les charges très volumineuses ; chiens plus légers et plus vifs pour les fardeaux modestes. L’intérêt du poil mi-long, dit poil de chèvre, tient au camouflage des petites charges. Le tabac est placé dans des sacoches en peau de chèvre, poil dessus, et fixées sur la zone dorsolombaire préalablement tondue. De loin, un chien pareillement équipé n’attire pas l’attention, surtout par mauvais éclairage (nocturne ou crépusculaire). Quant au choix des couleurs, il suffit de connaître les robes des chèvres pour s’apercevoir que celles du Picard s’en approchent beaucoup : fauve clair à blanc, marron très foncé ; pas de gris, pas de taches, pas de noir franc, pas de noir et feu, autant de couleurs qui n’existent pas chez les chèvres occidentales. Est-ce une coïncidence ?

 

   Côté caractère, cette activité de contrebande suppose des chiens rapides, malins, ayant un bon flair pour se repérer facilement dans un secteur qu’ils parcourent souvent. Mais aussi des chiens méfiants vis-à-vis des étrangers sans être peureux, et très attachés à leurs maîtres, puisque les chiens traversent la frontière au plus vite, seuls, pour retrouver cet être qu’ils aiment. Un chien combatif, aussi, pour vaincre les difficultés de parcours et éventuellement mettre en échec les chiens des douaniers. Une combativité qui s’accorde mal avec un travail sur ovins, où le chien ne doit pas mordre fortement. Par contre, sur les bovins, le chien doit être courageux et éventuellement sévère (morsure au mufle de la vache qui charge ou qui fuit).

 

   Quelques heureux propriétaires actuels de Picards les utilisent au quotidien comme bouviers et les trouvent excellents. A l’inverse, si quelques rares bergers font travailler leurs Picards aux moutons, ils estiment presque tous que la race est trop dure pour cet usage. Enfin, les échecs des Picards au CANT sont plus fréquents pour brutalité que pour manque d’intérêt !

 

   En conclusion, si le chien de Berger de Picardie décrit il y a 150 ans était bien un spécialiste de la conduite des ovins, il est moins sûr que notre Picard actuel lui ai fait de la concurrence dans ce domaine. Par contre, chien de ferme, ou de cour, affecté à la garde des biens et des gens, chien de conduite des bovins et chien de contrebandier, cela est évident. Son origine picarde n’est pas à mettre en cause, mais son ère de répartition géographique s’étendait au-delà de la région côtière. Qu’il soit picard par sa longueur de poil (Pickhaar) : pourquoi pas, mais Picard par son origine régionale, il l’est sans doute plus que le Beauceron et le Briard qui ne sont originaires ni de la Beauce ni de la Brie !! Même notre berger des Pyrénées n’est pas aussi strictement montagnard que son nom l’indique puisque sa région d’origine est le bassin aquitain. Particularité culturelle française qui veut rattacher des chiens de troupeau à une région précise ? Sûrement pas, il suffit de savoir que le Rottweiler est originaire du Sud de l’Allemagne et n’a pas grand-chose à voir avec la ville de Rottweil où il n’y a jamais eu d’élevage de cette race ! Fort heureusement, la Picardie reconnaît et honore ses races de chiens, plusieurs élevage y sont implantés. N’oublions pas que l’élevage de la Franche Pierre (le plus grand par son nombre – 80 chiens – et par son empreinte sur la race) ne pouvait pas être plus picard.

 

   Alors, berger ou bouvier, le Picard ? Un peu des deux, certainement, mais surtout un chien qui n’a existé et n’a survécu aux grand événements que par ses qualités de chien utilitaire au service des hommes. Qu’est-il aujourd’hui ? Alors qu’il n’a pas subi la dévastation d’un « coup de mode » comme le Briard, il s’est beaucoup modifié en 30 ans. Modifications morphologiques (museau plus long, moins large, poils de plus en plus longs, queue relevée, angulations antérieures fermées) mais surtout perte des qualités mentales au profit d’un hypertype poilu. De ce fait, les utilisateurs sportifs se détournent de cette race qui n’a déjà plus grâce auprès des bergers et des bouviers. Le Picard ? Ni bouvier, ni berger … ni sportif ? Quelle est sa place dans les décennies à venir ?"

                                                                         

Jean Legrand (Vétérinaire et Picardier)     

    

    

Sommaire CONNAISSANCE DU PICARD

 

Se décider pour un Picard en toute connaissance

Choisir un chiot picard sain

Santé du Picard

Choisir un beau et bon Picard

Caractère de mes trois picards

Tordons le cou à quelques préjugés

Le dressage

Noms des Picards depuis les années 50

Picard ou pas Picard ?

Le Berger Picard est-il un Berger ? (J. Legrand)

 



14/07/2013
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Nature pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 24 autres membres